Verité

Quiz Type

Multiple Choices
Multiple Choices

Quiz Level

Advanced

N/A

Introduction : L’idée de nature nous est familière : nous pouvons parler d’aimer la nature ou de la nature profonde d’une personne, de même que nous distinguons ce qui est naturel de ce qui ne l’est pas. La nature est d’abord une évidence pour nous, mais si nous cherchons à définir ce que nous pouvons entendre par « nature », nous sommes vite confrontés à la polysémie de ce mot. Quel est le point commun entre les différents sens que recouvre ce terme ? La recherche de ce point commun correspond à ce qu’on appelle en philosophie l’essence : quelle est alors l’essence de la nature ? Puisqu’il est dans la nature de l’homme de modifier son environnement, est-il pertinent de distinguer la nature de son inverse : la culture ou l’artifice ? La difficulté à répondre invite à soulever un nouveau problème : le concept désigne-t-il une réalité objective, ou est-il avant tout normatif ? Nous commencerons par essayer de définir le concept de nature par opposition à celui de culture : la nature désigne l’ensemble de ce qui existe indépendamment de l’action des hommes. Puis nous verrons comment, en tant qu’objet de connaissance, la nature est également l’objet d’un désir de maîtrise de la part des hommes. Enfin, nous nous interrogerons sur les enjeux écologiques et nous nous demanderons si l’on peut penser une nature dénaturée. Penser la nature La nature est l’ensemble des réalités matérielles existant indépendamment de l’humain, c’est-à-dire ce que nous pouvons observer tout autour de nous mais qui n’est pas le résultat d’une production des hommes. Cette définition correspond à la fois à la compréhension commune (la nature renvoie au monde plus ou moins sauvage tel qu’il existe hors de l’intervention humaine) et à celle de la philosophie. Elle suppose l’existence d’un monde non naturel, qui se distingue et s’oppose à la nature : la culture. Nature et cosmos Les philosophes antiques pensaient la nature comme un tout englobant l’ensemble de ce qui existe. Alors que le concept d’environnement renvoie à l’idée d’un milieu, à la fois cadre de vie et ressource vitale, celui de nature implique une totalité plutôt qu’un rapport de contenant à contenu. L’idée grecque de cosmos véhicule aussi celle d’un ordre, d’une harmonie qui présiderait à l’organisation de la totalité. En tant que « tout » organisé, la nature désigne également la source de la vie. Elle est le principe de développement des êtres vivants. Par extension, la nature d’une chose signifie aussi son essence, c’est-à-dire ce qu’elle est profondément, ce qui constitue son être indépendamment des accidents qui peuvent en modifier l’aspect. Le rapport de la philosophie antique à la nature n’est donc pas un rapport d’opposition (naturel / non naturel). Au contraire, les différentes écoles philosophiques grecques ont en commun l’idée que la nature constitue un modèle auquel on peut se conformer. Héraclite estimait ainsi que « La voie de la sagesse est de parler et d’agir en écoutant la nature », et Marc Aurèle, dans les Pensées pour moi-même, affirmait : « Rien n’est mal qui est selon la nature ». Réflexion Les stoïciens (dont faisait partie Marc Aurèle) ont particulièrement insisté sur cette idée : s’interrogeant sur la meilleure manière de vivre, ils se sont efforcés de distinguer les tendances naturelles des hommes, par oppositions à des tendances non naturelles. Ainsi, par exemple, manger pour se nourrir est naturel, alors que manger par gourmandise ne l’est pas. Pour vivre une vie bonne et philosophique, les hommes devraient suivre leurs besoins naturels et se tenir à distance de ce qui s’en écarte. Nature et domination Socrate a hérité des philosophes présocratiques la compréhension de la nature comme d’un cosmos : la nature est le principe premier de toute chose. Définition Présocratiques : Les philosophes présocratiques sont des penseurs qui ont précédé Socrate, et dont Héraclite fait partie. Seuls des fragments de leurs textes nous sont parvenus ; de ce fait, on connaît assez mal leur enseignement. Dans le Gorgias de Platon, Socrate (dont Platon était le disciple) rappelle cette conception harmonieuse de la nature : « Certains sages disent […] que le ciel, la terre, les dieux et les hommes forment ensemble une communauté, qu’ils sont liés par l’amitié, l’amour de l’ordre, le respect de la tempérance et le sens de la justice. C’est pourquoi le tout du monde, ces sages […] l’appellent cosmos ou ordre du monde ». Mais cette définition ne suffit pas à déterminer le sens que l’on donne à la nature. Réflexion Dans le Gorgias, Socrate discute avec Calliclès qui, partant d’une même définition de la nature, en tire des règles d’existence différentes. Pour Calliclès, suivre la nature ne signifie pas mener une vie simple, comme le pensent les stoïciens, ni s’efforcer de se rendre maître de ses désirs, comme le pense Socrate. Il élargit la définition en développant le concept de justice naturelle : «  […] la justice consiste en ce que le meilleur ait plus que le moins bon, et le plus fort que le moins fort. Partout il en est ainsi, c’est ce que la nature enseigne, chez toutes les espèces animales, chez toutes les races humains et dans toutes les cités ! » Platon, Gorgias. Selon Calliclès, la nature n’est pas seulement un principe d’harmonie et d’unité, elle est aussi une justification de la domination et de la force. À retenir On voit que l’idée de nature, même si elle correspond à une définition précise, n’est jamais neutre : elle porte toujours en elle un système de valeurs. Nature et lois physiques Dans le texte de Platon, Calliclès distingue d’une part le monde de la nature, où chacun est libre de suivre ses pulsions et d’accroître sa propre puissance, et d’autre part, la société qui soumet les hommes à des lois. Cette distinction renvoie à une autre compréhension de la nature : la distinction du « naturel » et de l’« artificiel ». La culture, l’art et la technique appartiennent à un monde proprement humain, contrairement à ce qui relève de la nature. Exemple On peut ainsi définir l’art comme ce qui cherche à imiter la nature, ce qui signifie implicitement que l’art n’est justement pas une production de la nature, il est « artificiel ». Réflexion Aristote propose de distinguer les choses qui existent par la nature de celles qui existent par d’autres causes, auxquelles il donne le nom d’« art ». Pourtant, contrairement à Calliclès, Aristote ne fait pas de la nature le domaine de la pure liberté, mais un univers régi par des lois au même titre que la société, comme celles du mouvement, de la naissance et de la mort, que l’observation peut déceler. Si la nature peut nous apparaître comme sauvage et dépourvue de rationalité humaine, elle est pourtant un monde avant tout physique, c’est-à-dire régi par les lois de la physique. Par rapport au monde artificiel des créations humaines, la nature est justement ce qui peut être compris à travers des lois scientifiques. Au XVIIIe siècle, en appui de cette théorie, Kant définira la nature ainsi : « La nature, c’est l’existence des choses, en tant qu’elle est déterminée selon des lois universelles. » Kant, Prolégomènes, 1783. À retenir On peut donc comprendre la nature comme un tout, mais un tout régi par un ensemble cohérent de lois. Utiliser la nature La conception unitaire et harmonieuse de la nature n’est pas antithétique avec une approche scientifique et utilitaire. Mais, alors que les Anciens s’attachaient davantage à sa dimension harmonieuse, la modernité a vu dans la nature le terrain où exercer non seulement nos connaissances, mais également notre action. La conception mécaniste : se rendre maître de la nature La conception scientifique de la nature a trouvé, en philosophie, une expression dans le mécanisme. Définition Mécanisme : Le mécanisme est une conception qui interprète les phénomènes matériels selon des relations de cause à effet. La nature de manière générale, mais aussi un corps vivant, peuvent ainsi être compris comme un ensemble de mécanismes répondant les uns aux autres. Si l’on voit dans la nature avant tout un ensemble de causalités régies par des lois physiques, on peut suspendre toute pensée éthique et avoir à la nature un rapport avant tout utilitaire : la nature est en effet ce qui nous fournit des ressources pour vivre et on peut donc la rationaliser, l’exploiter afin d’en obtenir le plus possible. Certains dénoncent dans cette approche une vision anthropocentrique de la nature : l’homme ne se conçoit pas seulement comme une partie de la nature, il s’octroie vis-à-vis d’elle une position de maîtrise et de domination. Réflexion : Il s’agit, en tout cas pour l’humanité moderne, de s’affranchir de la domination de la nature, ainsi que l’exprime Descartes : « [Ces connaissances] m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous...